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Virginie

01/02/2010

Elle était heureuse car elle venait de trouver ce petit appartement, coquet et très bien agencé au dernier étage d’un immeuble donnant sur une avenue parisienne. Il lui avait fallu plusieurs semaines de consultations d’annonces, de visites et de patientes recherches où elle avait dû répondre aux questions indiscrètes de propriétaires inquisiteurs. Vivait-elle seule ? Pourquoi vivait-elle seule ? Envisageait-elle cependant de se marier dans les mois à venir ? Avait-elle un animal de compagnie ? Bref, rien que de très normal.

Elle était restée évasive sur de nombreux sujets, notamment concernant l’adoption d’un petit fox terrier ou d’un ratier. On en voyait beaucoup depuis quelques mois à Paris et la vivacité de ce petit animal, toujours en activité, l’amusait beaucoup.Elle s’était ravisée par la suite au moment où la presse rapportait de nombreux cas d’attaques de chien, hélas souvent mortelles. Ce problème s’était en effet posé avec acuité pendant l’été. Le Ministre des Affaires Canines, qui avait également la casquette de Ministre de l’Intérieur, était même intervenu à plusieurs reprises, convoquant des réunions interministérielles, et expliquant au journal de 20 heures que certains croisements, comme par exemple, le labrador et le teckel, pouvaient aboutir à la naissance de véritables monstres. Le gouvernement décida de créer un permis de détention de chien.Virginie prit peur et renonça à son projet parental, qui partait pourtant d’une intention généreuse.

Elle avait donc emménagé dans ce beau 17 mètres carré, seule, depuis quelques jours. Elle n’avait jamais désespéré de trouver, sûre d’avoir un bon dossier. Comme elle le disait, ce n’était que du bonheur ! D’autant qu’elle était à deux pas de toutes les commodités. Métro, courses, shopping. Pour 750 € par mois, que demander de plus ? A 32 ans, elle était comblée. Elle allait découvrir un nouveau quartier, populaire, cosmopolite et divers. Elle comptait s’inscrire au club de gymnastique, et pourquoi pas au rugby. Elle ignorait complètement ce sport jusqu’à cette fameuse coupe du monde dont on avait tant parlé. Elle trouvait que les valeurs d’amour et de partage propres au rugby étaient vraiment sympas. A ce sujet, elle s’était presque fâchée avec l’une de ses amies qui regrettait le caractère guerrier des danses des joueurs précédant les matchs. Entière, elle n’avait pas du tout apprécié le mot « guerrier » et encore moins le parallèle avec les lignes de CRS tapant sur leur bouclier pour effrayer les manifestants. Elle trouvait ce rapprochement policier abject – elle détestait la police – alors qu’à travers ces danses, elle retrouvait les traditions ancestrales des peuplades éloignées qui nourrissaient son imaginaire.  Elle n’avait d’ailleurs pas manqué de se rendre au musée du Quai Branly, dès son ouverture. Les Arts Premiers la fascinaient. Elle était sensible au souci de préservation des anciennes civilisations, et de façon générale, de tout ce qui devait être préservé. Enthousiaste et généreuse, elle marchait au coup de cœur et au feeling. Elle avait donc découvert le rugby à travers les différents reportages télévisés dont on abreuvait les téléspectateurs et se passionnait désormais pour les joueurs et les différentes équipes, lisant la presse spécialisée et s’achetant divers calendriers auxquels il lui était difficile de résister. Elle se surprenait de cette nouvelle passion, mais en y réfléchissant bien, elle avait connu un grand engouement pour le football quelques années plus tôt.

 

 

Virginie avait désormais l’esprit libre et pouvait partir à la conquête de la capitale. Après quelques mois de chômage, elle travaillait de nouveau et pouvait donc se consacrer à ses projets de voyage. Elle aimait beaucoup voyager. Partir à la découverte des autres et d’autres cultures. En club de préférence. L’itinéraire est fléché depuis Paris. Les lieux sont le plus souvent agréables – en Turquie, elle avait adoré le principe des falaises, derrière le complexe hôtelier – et parfaitement définis. Un peu comme à Paris, ce qui la rassurait  : appartement, bureau, métro, restaurant, terrasse de café, cinéma et boutique… Là-bas: chambre d’hôtel, piscine, salle de gym, restaurant et boutiques. Les espaces ouverts lui procuraient des bouffées d’angoisse. Elle profitait donc au maximum. Les voyages étaient devenus très accessibles depuis une dizaine d’années. Les compagnies aériennes à bas coût s’étaient développées, se livrant une guerre acharnée, et proposaient des vols à des prix défiant toute concurrence. Elles étaient fondées sur des modèles ultra capitalistes qui permettaient de réduire au maximum les coûts de fonctionnement en exerçant notamment une véritable prédation sur le personnel. Même si Virginie avait une sensibilité sociale exacerbée, adorait José Bové et détestait le monde capitaliste responsable de la crise mondiale, elle préférait ne pas trop se poser de questions pour les vacances. La prédation, pour le coup, lui procurait un avantage certain et lui assurait des vacances au soleil en plein mois de janvier. Elle avait cette manie, comme ses contemporains, de rechercher les 30 degrés en dessous desquels on grelotte. Ce qui n’arrangeait pas son bilan carbone. Pour compenser, elle veillait à ne pas manger de tomates ou de fraises en hiver. Sauf les fraises Tagada. Elle était évidemment très inquiète pour la planète. Peut-être pas autant que Yann Arthus-Bertrand. Mais quand même.

2 commentaires

  1. Quelle inspiration pour ce nouvel article!Tu es très inspiré par nos congénères, je vois;-)quel style,bravo.Tu dresses un tableau piquant des travers de notre société…


  2. Excellent, un vrai régale !! Des observations du quotidien bien décrites, on s’y croirait. Bravo !!!



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